Journal inouï d’Aix

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En déambulant dans les rues d’Aix, une ville provençale à l’architecture XVIIIe siècle, le narrateur entre dans les hôtels particuliers qui en jalonnent les rues et fait la rencontre surprenante des personnages qui ont pris part à l’histoire récente – ou moins récente – des lieux, comme Pétrarque et René Char, Goethe, mais aussi Cézanne et Zola, ainsi que Picasso, Darius Milhaud ou Giuseppe Tartini.

 Écrit dans le miroir

Pour Pauline de Bruny

Inouï : jamais entendu, ni par toi qui que tu sois, ni par moi, qui que je sois. L’identité est un tremblement dans le miroir.

 

Tout l’univers bouge par l’amour et par la mort.
Un homme s’éloigne avec son chien sur un chemin.
Une jeune fille court derrière un cycliste.
Des jeunes fument près d’une rivière des joints à la fumée bleue.
Une femme lit sous un arbre.
Les oiseaux s’envolent au passage du train.
Ce sont des actes presque simultanés, si on les contemple d’une fenêtre, à deux cents

kilomètres à l’heure, une fenêtre qui en même temps qu’elle reflète mon visage, me laisse regarder l’extérieur;

Ou le visage extasié, illuminé par le soleil, comme d’une sainte, d’une femme qui regarde le film du wagon tout en donnant le sein à son fils, en serrant le téton entre son index et son majeur en forme de ciseaux.

 

Il y a un an j’ai passé la Semaine Sainte dans un endroit qui ressemble beaucoup à celui que je contemple du train. Le Sud de la France et le Sud de l’Espagne, reflets l’un de l’autre. Les marais étaient réels, et une même odeur d’oiseau sur la mer. Nous nous sommes beaucoup battus lors de l’une de nos promenades sur le rivage. Je ne me souviens pas comment nous faisions l’amour mais nous le faisions. Nous lisions sur la terrasse. Sa peau sentait la crème à bronzer. Je la caressais pour lui trouver un sens au delà de sa condition de peau. Peut être ai-je pensé que nous ne vieillissions pas. Je l’aimais dans notre fragilité. Je promenais notre chien – mon chien maintenant, à moi tout seul – dans le bois, face à la mer. Si nette encore l’image qui pourrait être d’hier, avant de prendre ce train. La mémoire aussi contemple des actes simultanés, comme si entre temps rien d’important n’était arrivé. La réalité est comme un film qu’on peut monter, séquence après séquence, en éliminant ce qui ne brille pas suffisamment, en gardant tout ce qui est encore vivant.

 

Le bon Henri Mallejac m’accueille dans son hôtel de Ventabren. Henri est un homme fort de 75 ans. Il vient de Bretagne. Il a été instituteur. Les bois nous entourent en un labyrinthe. Les oiseaux nocturnes chantent, les grenouilles croassent. Je reçois des messages de cinq femmes à la fois, mais c’est comme si mon portable était un cimetière. J’écris dans la chambre d‘une femme qui est morte. Du calme, me demande-t-elle. L’amour n’est pas seulement l’affaire de vous les vivants

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